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Channel: Marseille, ville sculptée
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Monographie sur Constant Roux

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En octobre dernier, j’ai imprudemment annoncé la parution de mon livre consacré au sculpteur Constant Roux (1865-1942). Cependant, mon éditeur n’était pas satisfait du rendu. Il émettait des doutes sur la pertinence de la couverture, pas assez dynamique, et n’aimait pas la maquette intérieure, achevée précipitamment pour répondre aux impératifs du Conseil général des Bouches-du-Rhône qui subventionnait le projet. Six mois ont donc passé : le livre sort enfin dans sa version définitive, beaucoup plus aboutie.


projet de couverture (octobre 2011)

Couverture définitive (avril 2012)

Projets de fontaine (Auguste Ottin et Jean-Barnabé Amy sculpteurs)

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Le cours Bonaparte (aujourd’hui Pierre Puget) est créé sous le 1er Empire, à l’emplacement de l’ancien rempart. Au pied de la colline Bonaparte (aujourd’hui Puget), dans la perspective, est alors érigée une colonne offerte par la ville d’Aix en 1801 et surmontée d’un buste de l’empereur sculpté par Barthélemy Chardigny (1757-1813). Parallèlement, Antoine-Claire Thibaudeau (1765-1854), préfet des Bouches-du-Rhône de 1803 à 1814, aménage le jardin de la Colline, premier jardin public de Marseille : la topographie permet le façonnement d’une grande cascade en rocaille.
L’alternance des régimes politiques au XIXe siècle se répercute sur l’alternance des effigies couronnant la colonne : le portrait de Pierre Puget par Jean-Joseph Foucou (1739-1815) remplace celui de Napoléon 1erà la chute des deux empires. Par ailleurs, la colonne est déplacée au sommet de la colline pour aménager une entrée monumentale sous le 2nd Empire. Plusieurs projets de fontaine imposante sont imaginés mais restent inaboutis, notamment un d’Auguste Ottin (1811-1890) : le statuaire parisien soumet successivement une déesse de la Fraîcheur sortant des eaux et portée par des génies – refusée pour indécence dans ce quartier cossu – puis un groupe de trois enfants montés sur des dauphins sur une vasque soutenue par des tritons.

Anonyme, Projet de l’entrée du jardin de la colline Bonaparte (détail), vers 1858
Archives municipales de Marseille 30 M 3

 F. Sinnen, La côte Bonaparte, lithographie, vers 1865
Collection particulière

Sous la IIIe République, des artistes ne renoncent pas à embellir d’une fontaine l’entrée de la colline Puget. C’est le cas de Jean-Barnabé Amy (1839-1907) qui, en 1881, soumet à la municipalité un terme allégorique de modeste ampleur : la Renommée et l’Histoire. L’œuvre devait prendre place dans la balustrade au-dessus du bassin existant. Son projet demeurant sans suite, Amy remploie son motif en insérant l’effigie d’Auguste Thiers pour transformer son œuvre en Monument Thiers ; proposé à l’état, son nouveau projet ne voit pas le jour non plus. Aucune fontaine monumentale ne s’installe finalement au pied du jardin de la colline.
Jean-Barnabé Amy, Projet de fontaine pour le cours Puget, dessin, 1881
Archives municipales de Marseille 31 Fi 60

Jeanne d’Arc sculptée à Marseille 1

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Les 10 et 11 avril dernier, s’est tenu à Montpellier un colloque international intitulé : Regards méridionaux sur Jeanne d’Arc. Je devais y participer mais un décès dans ma famille, survenu la veille, m’a contraint à annuler. Ceci dit, je collabore aux actes du colloques qui paraîtront à la fin de l’année. Voici donc, en avant-première et en plusieurs livraisons, mon texte à paraître :

La ville de Marseille possède ses héros et ses saints favoris dont elle multiplie à loisir les effigies sculptées. Dans le monde profane, les représentations de Pierre Puget(1)dominent ; dans la sphère sacrée, la Vierge Marie(2) remporte la majorité des suffrages. Ceci dit, Jeanne d’Arc, héroïne et sainte, connaît également un fort engouement populaire : une quinzaine de statues, dont l’essentiel se trouve à l’intérieur d’églises (3), lui est consacrée.
Pourtant, à l’origine, cette reconnaissance ne va pas de soi. En effet, avant la toute fin du XIXe siècle, aucun sculpteur marseillais n’aborde l’épopée de la Pucelle d’Orléans. Et, s’il existe bien une exception de taille, il convient de la relativiser : en 1881, le comité des Dames de France présidé par la duchesse de Chevreuse commandite à André Allar (1845-1926) (4) l’exécution d’un monument colossal – Jeanne d’Arc entend ses voix (St Michel, Ste Catherine et Ste Marguerite) – pour orner le porche de la basilique du Bois-Chenu, à proximité de Domrémy. Toutefois, le statuaire doit davantage cette commande à son ami Paul Sédille, architecte du lieu de culte, plutôt qu’à un quelconque intérêt pour la jeune bergère. Allar travaille longuement sur ce groupe : il présente ainsi le plâtre de sa Jeanne d’Arc au Salon de 1884 (n°3243) ; quant à la version en marbre, elle figure en compagnie du modèle destiné à la fonte des trois saints au Salon de 1891 (n°2227). Parallèlement, le fondeur Thiébaut édite la statue en bronze dans trois différents formats, preuve d’une ferveur grandissante au sein de la population française. Le monument est enfin inauguré le 30 mai 1894, en présence de Mgr Foucault, évêque de Saint-Dié.
André Allar, Jeanne d’Arc entend ses voix (St Michel, Ste Catherine et Ste Marguerite), carte postale
André Allar, Jeanne d’Arc entend ses voix, statuette bronze, 1er format, collection particulière
André Allar, Jeanne d’Arc entend ses voix (St Michel, Ste Catherine et Ste Marguerite), présentation contemporaine à proximité de la basilique

(1) Dans sa ville natale, l’artiste baroque compte un médaillon, deux bustes, trois statues et un monument (statue et allégories) à sa gloire.
(2) La plus célèbre sculpture de la Vierge reste Notre-Dame-de-la-Garde d’Eugène Lequesne. Au demeurant, la popularité du personnage transparaît par son omniprésence sur les façades d’immeubles. Voir Adrien Blès et Régis Bertrand, La statuaire religieuse des maisons de Marseille, Marseille, La Thune, 1998.
(3)Cette étude ne tient compte que des églises communales. Il existe cependant de nombreux lieux de culte catholique ne dépendant pas de la municipalité phocéenne ; d’autres sculptures de Jeanne d’Arc attendent sans doute qu’on les recense. Voir Jean-Robert Cain et Emmanuel Laugier, Trésors des églises de Marseille. Patrimoine cultuel communal, Ville de Marseille, 2010.
(4)Natif de Toulon, Allar se forme à l’école des beaux-arts de Marseille avant d’obtenir le grand prix de Rome en 1869. Le député Jules Charles-Roux le considère comme le chef de file de l’école marseillaise de sculpture. Voir Laurent Noet, Vie et œuvre du sculpteur André Allar (1845-1926). Catalogue raisonné, Paris, Mare & Martin, 2008.

Jeanne d'Arc sculptée à Marseille 2

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Au même moment, le regard des Marseillais évolue légèrement. Le fait que le Vatican déclare Jeanne d’Arc vénérable le 27 janvier 1894 n’y est sans doute pas étranger. Une initiative semble en découler directement. Elle émane du sculpteur Jean-Baptiste Hugues (1849-1930). Il expose dans la section art décoratif du Salon de 1895 une statuette en bronze doré sur un piédestal en marbre rouge de l’héroïne (n°3243). Durant la genèse de sa figurine, l’artiste hésite entre deux représentations : la guerrière, qu’il ne retient finalement pas (5), et la bergère recevant son épée ; dans les deux cas, il auréole son personnage, le parant d’une sainteté qu’il ne possède pas encore. Néanmoins, il s’agit-là d’une œuvre de circonstance, l’inspiration religieuse s’avérant marginale dans l’art de Hugues (6).

 Jean-Baptiste Hugues, Jeanne d’Arc
statuette en terre cuite, 1895
© Musée d’Art et d’Histoire de Belfort

Jean-Baptiste Hugues, Jeanne d’Arc, statuette en bronze doré sur piédouche en marbre rouge, 1895
Photographie anonyme, collection de l’auteur

Concomitamment, dans la cité phocéenne, un certain Pierre Casile se fait construire un bel immeuble de rapport à l’angle de la rue de la Bibliothèque et de la place Saint-Michel. Pareille façade accueille traditionnellement la modeste effigie d’une Vierge ou d’un saint protecteur ; ici, le traitement diffère par sa monumentalité et par le choix du sujet. Couronnant une colonne et un chapiteau ouvragé, une Jeanne d’Arc plus grande que nature se dresse fièrement, épée à la main et bannière au vent. La sculpture, œuvre de l’ornemaniste Adolphe Royan (1869-?) d’après les traces de signature, fait peut-être, elle aussi, écho à la décision papale. Pour autant, l’iconographie répond plus certainement au Monument aux enfants du département morts pour la défense de la Patrie pendant la guerre de 1870-1871, érigé sur la Canebière et inauguré le 26 mars 1894 ; dès lors, l’invocation de la Pucelle d’Orléans relèverait plutôt de l’esprit revanchard et du désir de reconquête de l’Alsace-Lorraine qui enflent partout en France, à la fin du XIXe siècle.

Adolphe Royan, Jeanne d’Arc, statue en pierre, 1895
© photo Xavier de Jauréguiberry

(5) J.-B. Hugues, Jeanne d’Arc, étude en terre cuite, Musée d’Art et d’Histoire de Belfort (n° inv. C46.2.10). La statuette en bronze doré, quant à elle, est aujourd’hui non localisée.
(6) Marseillais et grand prix de Rome en 1875, Hugues ne réalise que quatre sculptures d’inspiration religieuse, y compris Jeanne d’Arc, en soixante ans de carrière. Voir Laurent NOET, Jean-Baptiste Hugues, un sculpteur sous la IIIe République. Catalogue raisonné, Paris, Thélès, 2002.

Jeanne d'Arc sculptée à Marseille 3

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Ces deux exemples ne connaissent cependant aucune postérité. À Marseille, Jeanne d’Arc retombe dans l’oubli jusqu’au 18 avril 1909, date de sa béatification. Aimée du peuple, c’est alors dans les paroisses populaires et ouvrières que le culte de la jeune bienheureuse se développe. L’église de Saint-André, sise dans un quartier industriel qui concentre plusieurs tuileries, se dote ainsi d’une statue de l’héroïne, vers 1910-1914. Pour ce faire, elle s’adresse à la maison Marcel Marron, éditeur de sculptures religieuses à Orléans, qui commercialise, entre autres, une belle figure en plâtre de Jeanne d’Arc, en armure et en prière ; le modèle, œuvre du prix de Rome Charles Desvergnes (1860-1929), est proposé à la vente dès 1909 par catalogues et publicités dans tout l’hexagone (7).

Charles Dévergnes, Jeanne d’Arc, statue plâtre, vers 1909
Exemplaire similaire à celui de l’église Saint-André
2, boulevard Jean Salducci - 16e arrondissement

Cet achat sort toutefois de l’ordinaire. En règle générale, le clergé marseillais et ses fidèles se tournent vers un fournisseur local, le sculpteur-mouleur François Carli (1872-1957), pour subvenir à leurs besoins. Ce dernier reprend, au tournant du XXe siècle, l’atelier paternel sis au n°6 de la rue Neuve (aujourd’hui rue Jean Roque). Là, il reproduit de nombreux chefs-d’œuvre de la statuaire qu’il vend sur place : sphinx égyptiens, tanagras, vases étrusques, pleurants des tombeaux des ducs de Bourgogne, statuettes élégantes de Torwaldsen ou de Pradier… Mais, catholique convaincu, il développe surtout une importante production d’art religieux. Secondé par Auguste Carli (1868-1930), son frère aîné et second prix de Rome en 1896, il organise dans ses locaux des expositions de Vierges, mélanges d’originaux et de copies des maîtres du Moyen-Âge ou de la Renaissance. Ces manifestations qui se succèdent au rythme d’une à deux par an entre 1902 et 1914 imposent l’atelier-musée des Carli comme un lieu culturel incontournable du Marseille de la Belle Époque (8).L’exposition de Vierges de mai 1912 met en avant la bergère lorraine récemment béatifiée ; la presse s’en fait l’écho : « Mentionnons toute une collection de Jeanne d’Arc, œuvres très captivantes de Carli, très demandées pour nos églises et nos sanctuaires de famille. »(9)
Ainsi, lorsque les fonderies du Sud-Est, Reynier et Gossin – trois des principales industries du quartier de Menpenti – se réunissent au début de 1914 pour doter l’église Saint-Défendent d’une statue de Jeanne d’Arc, sollicitent-elles la maison Carli. Néanmoins, les commanditaires désirent une œuvre dont les qualités plastiques et esthétiques subliment leur don : c’est donc Auguste Carli qui honore cette commande. Il propose une figure en plâtre polychrome (10), haute d’un mètre soixante, vêtue de son armure, ayant une attitude de recueillement avant la bataille : les tensions internationales augmentent, annonçant la guerre ; l’héroïne semble convoquée pour défendre la patrie.

Auguste Carli, Jeanne d’Arc
statue en plâtre polychrome, 1914
Église Saint-Défendent
240 avenue de Toulon - 10e arrondissement

(7) Archives départementales de l’Aube, 56 J 90 : Maison M. Marron, Orléans, Catalogue de vente de statues religieuses (catalogue incomplet), s.d. Parmi les œuvres proposées se trouve « la bienheureuse Jeanne d’Arc, modèle dit universel (1909), par Charles Desvergnes, Grand Prix de Rome. »
(8) Laurent NOET, « L’atelier-musée des frères Carli et la promotion de la sculpture religieuse à Marseille », in Laurent HOUSSAIS et Marion LAGRANGE, Marché(s) de l’art en province (1870-1914), Presses Universitaires de Bordeaux, Les Cahiers du centre François-Georges Pariset n°8, 2010, p.69-78.
(9) Elzéard ROUGIER, « L’exposition des Vierges chez François Carli », in Le Petit Marseillais, 2 mai 1912, non paginé.
(10) L. S., « Une nouvelle statue de Jeanne d’Arc », in Le Petit Marseillais, 24 mai 1914, non paginée. L’article prétend que l’œuvre est un « bronze revêtu d’une patine vert-de-gris métis. » Toutefois, la sculpture en place paraît bien être celle inaugurée en 1914 et non une copie d’après un bronze disparu à une date incertaine. Le journaliste a-t-il été influencé par la profession des donateurs ?

Jeanne d’Arc sculptée à Marseille 4

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Malgré cette protection, la première Guerre mondiale s’avère un effroyable désastre humain. Une partie de la population se tourne alors vers la religion, provocant un regain de foi. La canonisation de Jeanne d’Arc le 30 mai 1920, suivie par son élévation au rang de sainte patronne secondaire de la France en 1922, participe pleinement à ce renouveau catholique. Par conséquent, les banlieues ouvrières et populaires telles que Saint-Antoine, Saint-Henri, Saint-Just, La Viste ou Les Olives acquièrent leurs effigies en plâtre de la Pucelle d’Orléans, si elle n’en possédaient pas déjà une. En effet, le culte de Jeanne demeure cantonné à la périphérie du centre ville, l’église de la Trinité – La Palud constituant l’unique exception. Cela s’explique probablement par le fait que le petit peuple a payé un plus lourd tribut à la guerre que les classes aisées.
Pour autant, le statut national que la jeune sainte reçoit en 1922 change la donne. Auguste Cornu (1876-?), un sculpteur parisien installé à Cassis dans les Bouches-du-Rhône, sculpte, en 1924, une Jeanne d’Arc en marbre pour la troisième chapelle du bas côté gauche de l’église Saint-Joseph-intra-muros, paroisse d’un quartier bourgeois. La chapelle est consacrée aux morts de la guerre ; la sainte, représentée en train d’offrir son épée à Dieu, se substitue ici à une allégorie de la France ou de la Victoire. Cela répond directement au nouveau statut de Jeanne.

Pierre Cornu, Jeanne d’Arc, statue, marbre, 1924
Église Saint-Joseph-intra-muros
124, rue Paradis - 6e arrondissement

Le regain de la foi catholique dans le pays est renforcé, en 1925, par la béatification de Bernadette Soubirous et les canonisations de plusieurs religieux français tels que Jean Eudes, le curé d’Ars Jean-Marie Vianney ou Thérèse de Lisieux dite de l’Enfant Jésus. À Marseille, l’Église entreprend une vaste opération de re-christianisation du territoire. Cela se traduit par une plus grande visibilité des catholiques : par exemple, le sculpteur Paul Gonzalès (1856-1938), comparse des frères Carli lors de leurs expositions de Vierges, est président de la section d’art chrétien à l’Exposition coloniale de 1922. Treize années plus tard, l’Église triomphante organise une grande manifestation : l’exposition catholique de 1935. Parallèlement, elle se lance dans de nombreux chantiers de sculpture, chantiers somptuaires où le marbre domine, afin de peupler les chapelles et autels nouveaux.

Jeanne d'Arc sculptée à Marseille 5

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C’est dans ce contexte particulier que le journal hebdomadaire d’action catholique, L’Éveil provençal, daté du 13 février 1932, fait l’éloge du décor sculpté de l’Ossuaire de Douaumont, sis près de Verdun. Les statues sont l’œuvre du Marseillais Élie-Jean Vézien (1890-1982), élève des Carli et grand prix de Rome en 1921. L’effigie de la Jeanne d’Arc de Douaumont illustre l’article. Et, en conclusion, le journaliste annonce que l’on peut admirer, du même artiste, la maquette d’une statue équestre de la sainte dans la sacristie de N-D de la Garde ; son auteur l’imagine sur l’esplanade de la célèbre basilique. « Est-il admissible, en effet, que la seconde ville de France ne possède pas une statue de la Sainte de la Patrie ? » (11)

Élie-Jean Vézien, Jeanne d’Arc, statue pierre, 1932
Ossuaire de Douaumont, Meuse

Une souscription est ouverte. Enfin, le 7 mai 1932, la veille des fêtes de Jeanne d’Arc, L’Éveil provençal présente le projet de statue équestre de Vézien. L’iconographie conquérante reflète les ambitions du clergé phocéen. Le monument, prévu en bronze pour le parvis de Notre-Dame-de-la-Garde, s’avère toutefois colossal – pas moins de 7,50 m de haut – et onéreux ; il ne voit finalement pas le jour.

Élie-Jean Vézien, Jeanne d’Arc, maquette en plâtre, 1932
Photographie anonyme, collection de l’auteur

Traditionnellement, les artistes locaux ou résidant dans le département des Bouches-du-Rhône sont favorisés dans les commandes ecclésiastiques. Il existe néanmoins quelques exceptions comme pour la décoration de Saint-Philippe, église d’une paroisse cossue, où le sculpteur parisien Maxime Real del Sarte (1888-1854) est sollicité. Le choix de ce statuaire montre un engagement radical du curé et de ses ouailles. En effet, l’artiste participe très tôt à tous les combats du mouvement nationaliste, monarchiste et antisémite des Camelots du Roi (12). L’un des premiers faits d’armes du sculpteur consiste en la perturbation musclée d’un cours sur Jeanne d’Arc, jugé insultant par l’Action française, professé à la Sorbonne par Amédée Thalamas (13) ; ils valent à Maxime Real del Sarte un séjour de dix mois à la prison de la Santé. Catholique fervent, il admire profondément la Pucelle d’Orléans, fondant durant l’Entre-deux-guerres l’association des Compagnons de Jeanne d’Arc (14). Par ailleurs, sur le plan artistique, il lui consacre de nombreux travaux, notamment une statue de Jeanne au bûcher sur la place du Vieux-Marché à Rouen (1928). Pour Saint-Philippe, il réalise en 1937 une réplique de cette œuvre comme il en réalisera ensuite une pour l’université de Montréal (1944) et pour Buenos Aires (1948). L’iconographie figure donc le martyre, avec néanmoins une variation : les flammes se transforment en gerbes de blé, source d’espoir et de foi prospère.

 Maxime Real del Sarte, Jeanne au bûcher
Statue en pierre, 1937
Église Saint-Philippe, 121 rue Sylvabelle – 6e arrondissement

Le cas de la paroisse Saint-Philippe reflète toutefois une ferveur plus générale des Marseillais. En effet, au cours des années trente et notamment après l’exposition catholique de 1935, les fêtes consacrées à Jeanne d’Arc connaissent une ampleur croissante. Enfin, en mai 1938, pour la première fois, la Fédération Nationale Catholique érige une effigie en plâtre de la Pucelle sur un autel éphémère dressé sur le parvis de l’église Saint-Vincent-de-Paul-Les-Réformés ; ce faisant, une foule considérable défile devant la sculpture, donnant à la manifestation tout son sens. Dès lors, l’opération est réitérée les années suivantes.

(11) Ch. B. P., « Les statues de la chapelle de l’Ossuaire de Douaumont. L’œuvre d’un maître marseillais », in L’Éveil provençal, 13 février 1932, p.3.
(12) L’organisation royaliste des Camelots du Roi, créée le 16 novembre 1908, constitue la branche estudiantine du mouvement monarchiste l’Action française ; Maxime Real del Sarte en est le premier président. La violence de ses membres entraîne sa dissolution, le 13 février 1936, par décret du gouvernement intérimaire d’Albert Sarraut.
(13) En décembre 1908, les cours du professeur d’histoire Amédée Thalamas sont perturbés par les Camelots du Roi qui frappent et insultent l’orateur et son auditoire. Le 17 février 1909, à la suite d’une énième perturbation, le cours est annulé.
(14) Outre des actions symboliques comme confier au curé-doyen de Domrémy, en 1935, un reliquaire contenant de la terre de Rouen recueillie à l’emplacement du bûcher, les Compagnons de Jeanne d’Arc œuvrent auprès Vatican à la levée de la condamnation de l’Action française, prononcée par le Saint Siège en 1926… ce qu’ils obtiennent en juillet 1939.

Jeanne d’Arc sculptée à Marseille 6

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Surviennent alors la guerre, la débâcle, puis la partition de la France en zone occupée et zone libre qui relance le projet avorté en 1932 d’un Monument à Jeanne d’Arc. Au début de 1941, le commandant Dromard prend la présidence d’un comité dont le but est l’érection d’une statue pérenne sur le parvis des Réformés, aboutissement de nombreux groupements et cortèges chrétiens. Louis Botinelly (1883-1962) (15), l’artiste choisi, propose un projet moins grandiose que celui composé par Vézien quelque dix ans auparavant mais plus complexe puisque l’iconographie qui synthétise l’ensemble du cycle johannique comprend une statue (Jeanne écoutant ses voix) et quatre bas-reliefs (Jeanne d’Arc et Charles VII, Sacre de Charles VII, Levée du Siège d’Orléans, Martyre de Jeanne d’Arc). Le message est clair : la sainte est de nouveau convoquée pour bouter l’ennemi allemand hors des frontières.
Toutefois, lorsque le monument de Louis Botinelly est inauguré le 9 mai 1943, la situation a bien changée : le pays désormais vit tout entier sous le joug de l’occupant nazi. Cela n’empêche pas une cérémonie en grande pompe. Outre les officiels – membres du clergé, édiles et notables –, de nombreuses délégations militantes ou partisanes y participent comme les membres de la Légion Française des Combattants (16) et des Volontaires de la Révolution Nationale (17) brandissant une soixantaine de fanions ou encore ceux de la Milice (18) ; quant aux scouts (19), ils forment une garde d’honneur autour de la statue. À cette occasion, deux parchemins sont scellés dans le socle du monument : le premier est un message d’Ève Botinelly, la fillette de l’artiste âgée de dix ans, demandant à la sainte la protection de tous les enfants de France ; le second est une attestation de Mgr Delay, archevêque de Marseille, plaçant la cité phocéenne sous le protectorat de la bergère de Domrémy en espérant que le pays retrouve sa place au sein de la nouvelle Europe. Enfin, les discours d’inauguration désignent nommément l’ennemi officiel : les Anglais qui, comme un écho à la guerre de Cent Ans, viennent de bombarder Rouen.

Inauguration du Monument à Jeanne d’Arc, 9 mai 1943
Photographie anonyme, collection Ève Botinelly
La photographie est légendée par le sculpteur lui-même : « Jeanne d’Arc. Statue pierre demi-dure de 2m030 [sic : 2m30] / inaugurée par Monseigneur Delay archevêque de Marseille / pour la fête Nle [Nationale] de Jeanne d’Arc en 1943 / par Louis Botinelly / Église de St Vincent de Paul / Marseille »

(15) Laurent NOET, Louis Botinelly sculpteur provençal. Catalogue raisonné, Paris, Mare & Martin, 2006.
(16) La Légion Française des Combattants, créée par la loi du 29 août 1940, fusionne selon les vœux du régime de Vichy toutes les associations d’anciens combattants dans le but de régénérer la Nation, par la vertu de l’exemple du sacrifice de 1914-1918.
(17) Les Volontaires de la Révolution Nationale sont de jeunes militants d’extrême droite qui, à partir de novembre 1941, viennent durcir la Légion Française des Combattants.
(18) La Milice, créée par le régime de Vichy le 30 janvier 1943, est une organisation politique et paramilitaire pour lutter contre la Résistance.
(19) Sous l’Occupation, le scoutisme est le premier mouvement de jeunesse agréé, le 24 juillet 1941, par le régime de Vichy qui en fait un pilier de sa politique envers les adolescents.

Jeanne d’Arc sculptée à Marseille 7 et fin

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Comme pour effacer ce passé douloureux, de nouvelles festivités grandioses sont organisées en mai 1945 pour célébrer la capitulation de l’Allemagne. La coïncidence de l’événement avec la fête de Jeanne d’Arc, pour les catholiques français et méridionaux, apparaît comme un signe divin. De fait, dans la foulée, en 1947, Louis Botinelly modèle une version en terre cuite de sa Jeanne d’Arc écoutant ses voix pour l’église Saint-Ferréol-les-Augustins, sur le Vieux-Port. Il s’agit-là de la dernière sculpture érigée en l’honneur de la sainte…

Louis Botinelly, Jeanne d’Arc écoutant ses voix
Statue en terre cuite, 1947
Église Saint-Ferréol-les-Augustins, quai des Belges
1er arrondissement

Quoiqu’il faille, en conclusion, évoquer un dernier monument possédant un lien indirect avec la Pucelle d’Orléans, comme un écho lointain. En août 1944 se déroulent les derniers combats pour la libération de Marseille. Les troupes allemandes se sont retranchées à Notre-Dame-de-la-Garde. Au matin du 25 août, les blindés alliés montent à l’assaut de la colline guidés par le char Jeanne d’Arc. Celui-ci débouche sur la montée de l’Oratoire lorsqu’une grenade incendiaire s’abat sur lui. Le char est projeté contre la résidence épiscopale. Deux des cinq occupants s’en extirpent ; les trois autres brûlent vifs à l’intérieur. Restauré dans la foulée, le char est laissé sur place comme monument commémoratif : l’inauguration solennelle se déroule le 25 août 1946, un an jour pour jour après les événements. Le Jeanne d’Arc rend ainsi un ultime hommage aux trois soldats morts brûlés pour libérer la France à l’instar de la jeune sainte et, plus largement, aux troupes de Libération de la cité phocéenne.

Marcel de Renzis, Le char Jeanne d’Arc frappé en plein cœur au moment de l’assaut de la colline, photographie, fin août 1944
Char Jeanne d’Arc
Place du Colonel Eydon – 7e arrondissement

Exposition

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Le 13 septembre prochain débutera une exposition intitulée Les architectures de l'eau à Marseille du XVIIIe siècle à nos jours aux Archives départementales des Bouches-du-Rhône. J'en suis le commissaire général. J'aurais l'occasion d'y revenir prochainement. Pour l'instant, je vous fournis les informations du programme officiel.

Fernand Mariaud

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Voici quelques mois, j’ai lancé un appel pour en savoir plus sur le sculpteur F. Mariaud (Je ne connaissais pas son prénom). J’ai reçu une réponse la semaine dernière de madame Monique Santoni, de Lambesc, qui m’a aimablement communiqué une coupure de presse – Le Provençal, 16 juillet 1985 – apportant quelques éléments biographiques de Fernand Mariaud. C’est un début ! J’espère un jour découvrir ses dates et lieux de naissance et de mort.

Le Provençal, 16 juillet 1985

Les fontaines du Second Empire et de la Troisième République 1

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Depuis le 13 septembre, les Archives départementales des Bouches-du-Rhône présentent au public une exposition intitulée - dont je suis le commissaire - Les architectures de l’eau du XVIIIe siècle à nos jours. J’ai décidé de vous livrer l’article que j’ai écrit pour la brochure.

Les fontaines du Second Empire et de la Troisième République
Sous le Second Empire et la Troisième République, la cité phocéenne élargit sa voirie, établit nombre de places et promenades. L’eau qui arrive dorénavant en abondance grâce au Canal de Marseille participe volontiers à cet embellissement urbain : plusieurs bassins jaillissent ainsi sur des emplacements stratégiques tels que le cours du Chapitre, le rond-point du Prado, la place Saint-Michel… Certains proposent un simple jet central, d’autres y ajoutent une couronne de jets en corbeille. Toutefois, le projet le plus spectaculaire demeure celui de la fontaine des allées de Meilhan, dressé par l’ingénieur Auguste Gassend en mars 1861, où les jeux d’eau composent avec un îlot annulaire boisé.
 
Auguste Gassend, Fontaine des allées de Meilhan,
élévation et coupe, 1861
AD13  7 O 20-29
Projet non réalisé

Alexandre de Bar, Fontaine des allées de Meilhan,
gravure, 1876
Fontaine finalement réalisée

Parallèlement à la construction de ces bassins, se développent deux idées opposées de la fontaine. L’une prône une approche naturelle où l’eau ruisselle et chute sur une structure en rocailles. L’autre, tout au contraire, joue sur la monumentalité et l’abondance des sculptures.

Les fontaines du Second Empire et de la Troisième République 2

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L’eau naturelle
Au milieu du XIXe siècle, toute l’Europe succombe à la mode des parcs à l’anglaise. Il s’agit alors d’imiter la nature dans sa conception irrégulière. Dans la capitale française, le paysagiste Jean-Pierre Barillet-Deschamps (1824-1873), jardinier en chef du Service des Promenades et Plantations de la Ville de Paris, impose un type de jardin caractérisé par des pelouses vallonnées ainsi que les formes sinueuses des allées, rivières et lacs artificiels. Dans ce contexte, la cascade de rocailles se substitue de façon pittoresque à la fontaine traditionnelle et devient une pièce maîtresse du décor.

Anonyme, La cascade (Jardin zoologique), estampe, vers 1852-1857
Archives municipales de Marseille, 79 Fi 9

Marseille ne découvre pas le jardin anglais à cette époque – la colline Bonaparte (auj. Puget) est en effet paysagée dès le Premier Empire – mais suit l’engouement général. La Ville crée d’abord, dans les années 1850, le jardin zoologique puis, en 1862-1864, le majestueux parc Borély. On trouve d’ailleurs pour ce dernier aménagement des maîtres d’œuvre du Paris haussmannien : l’ingénieur Jean-Charles Alphand (1817-1891) et Barillet-Deschamps. Ici, une grotte à la voûte constellée de stalactites, dissimulée par une chute d’eau, ajoute un élément de surprise à un motif désormais attendu. L’ensemble, réalisé par le rocailleur André Chaix, coûte la somme exorbitante de 50000 francs.

Jean-Pierre Barillet-Deschamps, Parc Borély, projet de cascade, plan, 1863
Archives municipales de Marseille 49 Fi 28

Adolphe Terris, Grand travaux, cascade du parc Borély, photographie, 1864
Archives départementales des Bouches-du-Rhône 13 Fi 12~1

Dans la foulée, de fortunés particuliers importent dans leurs bastides le goût en vogue. Le château du roi René aux Aygalades ou encore la villa André à La Rose se dotent à leur tour d’une cascade de rocailles. Il en va de même pour de vastes propriétés intra muros comme la villa La Lyria au Roucas Blanc. Quant au jardin de la Préfecture, malgré un espace restreint, il adopte un agencement à l’anglaise avec tous les éléments caractéristiques du genre… en miniature, et notamment une cascatelle.

Auguste Gassend, Jardin de la préfecture, profil en long suivant l’axe de la cascade et du lac (détail), 1865
Archives départementales des Bouches-du-Rhône 4 N 299

Les fontaines du Second Empire et de la Troisième République 3

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Étonnamment, ces fabriques adaptées aux parcs arborés, qu’ils soient publics ou privés, tendent rapidement à investir l’espace urbain. L’exemple le plus significatif reste sans conteste la création en 1864 de l’escalier-square du boulevard Gazzino (auj. André-Aune). Reliant Notre-Dame de la Garde au centre-ville, ce programme mixte intègre en son sein une petite chute sans autre nécessité que le plaisir d’entendre l’eau vive bruire sur les rochers.
Esprit Latour, Abords de la chapelle ND de la Garde. Construction d’un escalier pour mettre en communication le Bd Gazzino avec le chemin du sanctuaire (élévation générale), dessin aquarellé entoilé, 16 février 1864
Archives dépépartementales des Bouches-du-Rhône, 7 O 20 59/6
Le dessin montre également le premier emplacement de la colonne de l’ImmaculéeConception (Henry Espérandieu architecte, Eugène Guillaume sculpteur)

Non loin de là, la municipalité remanie fortement le jardin de la colline qui focalise bien des attentions sous le Second Empire. Il s’agit alors de magnifier l’axe du cours Bonaparte (auj. Puget) par la création d’une grande cascade et de son bassin de réception, voire d’un imposant décor figuré. Pour ce faire, la Ville sollicite, en juin 1857, l’ingénieur Étienne Delestrac (1817-?) et le statuaire Auguste Ottin (1811-1890) avant renoncer à ces travaux fastueux le 11 septembre 1862.

L’eau monumentale
L’eau naturelle n’efface donc pas les velléités de fontaines sculptées. Toutefois, peu de réalisations aboutissent à l’instar de la colline Bonaparte où le Conseil municipal débourse finalement 5000 francs pour dédommager Ottin et enterrer son projet. Pourtant de nombreux artistes proposent leurs services : le sculpteur Joseph Félon (1818-1896) imagine en 1859 un vaste bassin où la Navigation apporte à toutes les parties du monde les lumières de la civilisation ; l’architecte Delacour envisage en 1862 de flanquer l’obélisque de la place Castellane de quatre allégories (la Navigation, l’Industrie, les Arts et le Commerce) ; Auguste Bartholdi (1834-1904) conçoit en 1860 un Saint Michel terrassant le démon pour surmonter la rocaille de la place Saint-Michel (auj. Jean-Jaurès), emplacement jadis occupé par d’éphémères sculptures de circonstance, la Liberté de François-Marius Cailhol (1810-1853) pour l’avènement de la Deuxième République en 1848 et un autre Saint Michel de Marius Ramus (1805-1888) pour la visite du prince-président Louis-Napoléon Bonaparte en 1852. En vain ! Les fonds communaux semblent principalement conservés, puis alloués, pour le Palais Longchamp, prestigieuse vitrine du Canal de Marseille.

Joseph Félon, Fontaine de la Navigation, dessin sur calque, 1859
Archives municipales de Marseille, 32 M 28

Auguste Bartholdi, Fontaine Saint Michel, ébauche en terre cuite, 1859
© Musée Bartholdi (Colmar), SB 18

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Et la chute de l’Empire ne change rien ! En effet, le remboursement des emprunts contractés pour les grands travaux d’urbanisme sous le régime précédant grève lourdement les budgets municipaux et hypothèque tous désirs d’ornementation publique jusqu’à la Première Guerre mondiale. De fait, la Ville ignore la nouvelle proposition de fontaine pour l’entrée de la colline Puget émanant du sculpteur Jean-Barnabé Amy (1839-1907) en 1881. Plus grave, faute d’un financement suffisant, elle doit abandonner la rénovation des vieux quartiers situés derrière le palais de la Bourse qui, du reste, a fait l’objet d’un concours national en 1906 : le nouvel hôtel de ville, les immeubles d’habitation, la place dédiée au négoce et son colossal Monument à la Navigation, au Commerce et à l’Industrie ne verront par conséquent jamais le jour, au grand dam des architectes lauréats, Henri Ébrard (1876-1941) et André Ramasso.

Jean-Barnabé Amy, Fontaine du cours Puget et groupe allégorique,dessin aquarellé sur calque, 1881
Archives municipales de Marseille, 31 Fi 60

Henri Ébrard & André Ramasso, Monument à la Navigation, au Commerce et à l’Industrie, gravure, 1906
Archives municipales de Marseille, 63 ii 4

En définitive, les rares fontaines sculptées financées par les édiles entre 1852 et 1914 possèdent une ampleur modeste. Elles revêtent essentiellement la forme de bas-reliefs plaqués contre une architecture : la Fontaine de la Joliette s’inscrit ainsi dans l’escalier de la cathédrale (Ottin sculpteur, 1859) tandis que la Fontaine Espérandieu (1870) de Jules Cavelier (1814-1894) et Lucien Chauvet (1832-?) s’appuie sur la façade de l’École des Beaux-Arts. Seule la fontaine du grand bassin du parc Borély (1864) apparaît plus imposante : au relief de Pierre Travaux (1822-1869), la France protégeant la réunion de la mer Rouge à la Méditerranée, s’ajoutent deux Griffons en ronde-bosse par Chauvet.

Fontaine de la Joliette, bois couleur, vers 1860-1865
Musée d’Histoire de Marseille, 1981.7.42

Fontaine Espérandieu, gravure, 1876
Archives municipales de Marseille, 63 ii 3

Pierre Travaux, La France protégeant la réunion de la mer Rouge à la Méditerranée, bas-relief en pierre, 1864
Parc Borély, 8e arrondissement

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Néanmoins, l’occasion d’embellir l’espace urbain d’une œuvre majestueuse surgit enfin en 1904 lorsque le sculpteur Jean-Baptiste Hugues (1849-1930) propose à la cité phocéenne l’achat de sa Fontaine des Danaïdes avec le concours de l’État. Le maire Amable Chanot répond favorablement à cette avantageuse proposition. Mis en place sur le cours du Chapitre, le groupe est prêt pour une inauguration solennelle en décembre 1907. Malheureusement, son cofinancement implique la présence d’un membre du gouvernement ; or la municipalité se montre incapable de réunir les officiels requis. De fait, le seul grand monument public érigé par la Ville à cette époque-là est également le seul à n’avoir jamais connu de consécration !
Jean Hugues, étude pour la Fontaines des Danaïdes
Carnets Hugues, musée d’Orsay, RF 51944 - f°10v-11r

Jean-Baptiste Hugues, Les Danaïdes, esquisse en terre cuite, 1901
Musée d’Art et d’Histoire de Belfort, C 46.2.6

Devant son incapacité à ériger des fontaines monumentales, Marseille délaisse cette tâche à de généreux bienfaiteurs. Quand les félibres parisiens décident d’élever un Monument à la mémoire deVictor Gélu en 1891, le Conseil municipal leur propose la petite fontaine de la place Neuve, quartier du poète, comme emplacement avec l’espoir d’un embellissement à moindre coût. Et, en effet, l’architecte Joseph Huot (1840-1897/98) remanie et agrandit l’édicule pour y insérer un haut-relief de bronze – fondu sous l’Occupation – de Stanislas Clastrier (1857-1925).

Stanislas Clastrier, Monument Victor Gélu, haut-relief en bronze, 1891 - carte postale

Cependant, quelques riches mécènes marseillais surpassent les espérances les plus folles. En 1887, le négociant Louis Estrangin confie un projet de fontaine à l’architecte du Département Joseph Letz (1838-1890) et au sculpteur André Allar (1845-1926) pour orner la place Paradis (auj. Estrangin-Pastré) sur laquelle donnent son hôtel particulier et ses bureaux. C’est une véritable pièce d’orfèvrerie à la gloire du commerce maritime que le député Jules Charles-Roux inaugure le 30 novembre 1890.

Joseph Letz, Projet pour la fontaine Estrangin, dessin, 1887
Archives dépépartementales des Bouches-du-Rhône, 7 O 19-2 Estangin 001

André Allar, Fontaine Estrangin, pierre, 1890
Place Estrangin-Pastré, 6e arrondissement

Les fontaines du Second Empire et de la Troisième République 6 (fin)

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Suivant ce premier exemple, Henriette Albrand décide, en 1904, commémorer le souvenir de son père – l’armateur Joseph Étienne – par une fontaine. Elle s’adresse alors au sculpteur Auguste Carli (1868-1930) qui imagine le Triomphe d’Amphitrite. D’un projet en marbre et bronze, on évolue bientôt vers un groupe complètement en marbre de Carrare dans lequel la donatrice investit 50000 francs. Le monument est inauguré en 1906.

Fontaine Amphitrite, carte postale
Archives départementale des Bouches-du-Rhône, 6 Fi 5994

Mais, nul n’égale le marbrier Jules Cantini dans la démesure. L’industriel décide, en 1908, d’offrir une fontaine grandiose à la Ville de Marseille, en lieu et place de l’obélisque de Castellane (auj. au rond-point de Mazargues). La maquette et les modèles des statues sont réalisés dans l’atelier d’André Allar. Les plâtres partent ensuite pour Carrare afin d’y être reproduits en marbre par des praticiens italiens. Enfin, les différents éléments, transportés par bateau depuis l’Italie, sont assemblés sur le chantier, à Marseille. La fontaine, à l’iconographie foisonnante magnifiant le matériau qui fait la fortune de Cantini, est finalement consacrée le 12 novembre 1911.

Anonyme, Maquette de la fontaine Cantini dans l’atelier d’André Allar, photographie, vers 1909-1910, Archives Nationales, F/21/4360

Anonyme, Figure d’Amphitrite dans l’atelier d’André Allar, photographie, vers 1909-1910, École Nationale Supérieure des Beaux-Arts (Paris), PH 14367

Anonyme, La Fontaine Cantini en chantier, photographie,
1911, Musée d’Histoire de Marseille 2004.6.11.1

En conclusion, que son traitement soit naturel ou monumental, l’eau apparaît avant tout décorative sous le Second Empire et la Troisième République. La fonction utilitaire se révèle donc marginale… mais pas inexistante. Dans la foulée de Paris qui installe sa première Fontaine Wallace en août 1872, la cité phocéenne adopte ce mobilier qui met gratuitement eau potable et gobelets à la disposition des passants dès la fin des années 1870. Au demeurant, des distributeurs mobiles nommés « bock automatique » surgissent opportunément au tournant du XXe siècle pour désaltérer les promeneurs sur les sites les plus fréquentés.

Anonyme, Appareil placé à Marseille aux allées de Meilhan, photographie, s.d., Archives municipales de Marseille, 2 Fi 37

Les architectures de l’eau à Marseille du XVIIIe siècle à nos jours

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Le 8 décembre dernier, l’exposition Lesarchitectures de l’eau à Marseille du XVIIIe siècle à nos jours s’est achevée aux Archives départementales des Bouches-du-Rhône. J’ai décidé , ce matin, de publier les photographies de Xavier de Jauréguiberry pour en garder une trace sur mon blog.
1- l’entrée

2- l’espace 1 : De l’ouvrage utilitaire à la fontaine d’agrément

3- l’espace 2 : Et l’eau vint à Marseille. Comment la montrer ?

4- le couloir sensoriel

5- l’espace 3 : Les fontaines du Second Empire et de la Troisième République

6- l’espace 4 : L’eau dans la ville du XXe siècle : le temps des métamorphoses

7- l’espace ludique

8- l’espace audio-visuel

9- la sortie et une des fontaines du boulevard Longchamp

Palais du Pharo (François Gilbert sculpteur)

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Le 21 décembre 2012, l’Académie de Marseille m’a décerné le prix du baron Félix de Beaujour pour mon ouvrage monographique sur le sculpteur Constant Roux. La cérémonie s’est déroulée en grande pompe au Palais du Pharo… l’occasion pour moi de revenir sur sa genèse et son décor sculpté.

En 1855, la Ville de Marseille fait don des terrains du Pharo à Napoléon III pour y édifier une résidence impériale et faire de la cité phocéenne l’égale de Biarritz. La première pierre est posée le 15 août 1858, jour de la saint Napoléon… Malheureusement, l’empereur se désintéresse rapidement de ce projet dont le gros œuvre est à peine achevé en 1870, à la chute du Second Empire. Trois architectes suivent ce chantier : Hector Lefuel (1810-1880) et le Suisse Jean-Marc Vaucher (1798-1877) sont les auteurs du projet ; Henry Espérandieu (1829-1874) succède à Vaucher en 1860 pour diriger les travaux
Le chantier de sculpture est attribué à François Gilbert (1816-1891). Il se déroule en deux temps. En 1860, on lui commande la réalisation de vases pour le couronnement du palais. En avril 1861, un décor statuaire est projeté. Il se divise de la sorte :

- un fronton symbolisant les Armes de l’Empereur entre les Génies des Arts et du Commerce moyennant 5500 francs.
 
 - deux figures d’enfant drapé pour la façade de la cour d’honneur moyennant 2000 francs.

 
- deux groupes d’enfants pour la façade mer moyennant également 2000 francs.

La réalisation de ces travaux débute en 1861 et est entièrement achevée au 22 juin 1864.

Le Génie de la mer (Carlo Sarrabezolles sculpteur)

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L’automne dernier, la CMA-CGM (Compagnie Maritime d’Affrètement – Compagnie Générale Maritime) a replacé le Génie de la mer de Carlo Sarrabezolles sur le parvis de sa tour, au 4 quai d’Arenc, après plusieurs années de travaux d’urbanisme. C’est donc l’occasion de revenir sur cette œuvre majestueuse qui n’était pas destinée à devenir marseillaise.
 
 
Carlo Sarrabezolles, Le Génie de la mer, bronze, 1935
4 quai d’Arenc, 2e arrondissement

La sculpture est commandée en 1934 par la Compagnie Générale Transatlantique (CGT) pour décorer la plage arrière du paquebot Normandie. L’artiste imagine un triton coiffé d’algues marines brandissant un trident de la main gauche et une conque de la main droite ; ses jambes se transforment en queue de poisson bifide. Trois dauphins plongent à sa suite. La statue, haute de 7,15 m du sol à la pointe du trident, est coulée dans le bronze. Malheureusement, son poids colossal et les vibrations des hélices sises sous son emplacement initial empêchent sa mise en place sur le paquebot… une grande déception pour l’artiste !
L’œuvre figure à l’Exposition internationale de 1937 qui se tient à Paris : renommée L’Océan, elle se dresse devant le pavillon de la Marine Marchande. La Compagnie Générale Transatlantique la dépose de 1943 à 1948 au musée de la Marine avant de la rapatrier au Havre pour orner, en 1952, l’esplanade de la gare maritime. Par la suite, elle connaît différents emplacements au Havre jusqu’au jour – le 15 novembre 2002 – où la CMA-CGM, héritière de la CGT, transfère le grand bronze dans la cité phocéenne pour marquer l’entrée de son nouveau siège social.
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